Ce n'était pas prévu qu'on se rencontre.
En tous cas, je n'avais pas prévu que ce serait dans son lit à elle que je finirais.
Elle m'a vu dans ce magasin et elle m'a dit "génial, c'est Stella qui va être contente", et puis on est partis ensemble, j'étais emballé.
On est allés chez elle, elle a dit quelle trouvait ça intéressant que je m'appelle Maurice, comme son grand père.
Moi je me laissais balloter, j'étais comme enivré, elle était vraiment enthousiaste, mais elle n'arrêtait pas de parler de Stella, et que c'était une surprise géniale pour son anniversaire, qu'elle serait si heureuse de me rencontrer, que je correspondais exactement à tout ce qu'elle attendait.
Elle était très joyeuse, elle n'arrêtait pas de parler au téléphone, sautillante, c'était le printemps.
On a dîné.
Elle a mis beaucoup de musique, très fort.
Puis un film.
Elle téléphonait par intermittence, elle riait beaucoup, tout le temps, je la trouvais un peu trop heureuse pour être honnête, à vrai dire...
Et puis elle a reçu un coup de fil de plus, et elle a eu l'air mécontent. Elle s'est mise dans tous ses états, elle a crié fort et elle a fini par dire que de toutes façons la seuls chose qu'ils avaient en commun était morte il y a bien longtemps et puis que était mieux qu'ils ne se voient plus, et quelle était désolée pour lui mais que c'était au delà de ses forces.
Moi je tentais de rester emballé mais soudain, je me demandais ou était cette fameuse Stella, que finalement, j'avais bien envie de la rencontrer.
Elle m'a dit "changement de plan, Maurice, tu restes avec moi, je vais avoir besoin de toi".
Il était tard, à ce stade, on était au beau milieu de la nuit, je n'avais pas tellement le choix, et puis j'étais encore et toujours emballé.
Que voulez-vous, c'est probablement pour çà qu'elle m'a autant touché, moi aussi, j'ai le vice de l'enthousiasme.
Et là, sans que je ne vois rien venir, elle m'a déballé, et elle m'a dit que Stella comprendrait, que même si elle n'avait que 2 ans, c'était une fille très très intelligente pour son jeune âge.
Qu'il n'y a pas d'âge, finalement, pour avoir un objet transitionnel, comme l'appelle Winnicott, quel barbarisme pour qualifier un lapin en peluche tout doux, une présence rassurante qui permet à quelqu'un de se consoler et de supporter la séparation - un mot moins mièvre, certes, que "doudou"; un symbole de réassurance, en somme.
Elle m'a serré très fort dans ses bras et elle m'a dit bonne nuit.
Et puis, dans mes bras, comme une enfant de rien, comme une gamine perdue, elle s'est endormie.
Je n'ai rien dit parce que je ne parle pas, mais je n'en pense pas moins.
C'est que c'est juste, c'est tout simplement mon juste mon job.
Je suis la quiétude et le silence sympathique, je suis sa maison et son réconfort, sa chaleur tendre, son lendemain qui chante, je suis là, je suis vraiment, vraiment, vraiment là, je suis la certitude pour elle qu'où qu'elle soit partie, qu'elle revienne du sommeil ou bien qu'elle soit allée au loin dans une inconnue distance, je suis cette confiante présence qu'à son retour, de manière permanente, je serai là, pour elle, et pour elle seulement.
C'est mon métier, à moi, finalement, d'incarner cette présence de force tranquille, de bienveillante neutralité, de calme tempérance...
Je suis un lapin en peluche et j'étais destiné à une fillette de 2 ans.
Je suis un "objet transitionnel".
D'autres fument beaucoup, ou boivent, téléphonent sans cesse, des comme elle, de son âge et encore plus.
Certains mangent, se droguent, d'aucuns militent, il y en a qui lisent tout le temps ou bien qui passent leur vies à regarder des films, à chanter ou encore à danser.
Toutes les compulsions, tous les gestes, toutes, les actions, vous le savez, existent pour se rassurer sur la permanence et fuir un peu la mort et la peur de l'absence.
Et donc enfin, et puis en fait voilà, comme je vous l'ai raconté, voilà comment je finis dans son lit à elle.
Bonjour à vous.
Enchanté.
Je suis Maurice