"La première gorgée de bière" de Philippe Delerm, les "petits
plaisirs" d'Amélie Poulain, "Le sel de la vie" de Françoise Héritier...
Toutes ces listes de petits et grands kifs de la vie.
Je
viens d'avoir 30 ans et j'ai décidé de dresser celle-ci, peut être pour
me rassurer et me dire que j'ai bel et bien vécu ma vie, pour trouver
de l'inspiration pour les 30 prochaines à venir, pour méditer tous ces
instants qui se succèdent, fugacement, et qui font une vie qui passe,
comme ça, en un rien de temps.
Pour ne pas oublier que le bonheur c'est maintenant.
Ou tout simplement parce que.
Relever
la moustiquaire et laisser entrer une coccinelle en pensant aux bêtes à
bon dieu et se demander sans en avoir la réponse, mais comme ça, juste
pour laisser courir l'imagination, pour quelle espèce de raison on les
appelle comme ça, , fumer une clope en cachette en écoutant Caruso
pleurer furtivement, regarder une étoile brillante en se demandant si ce
n'est pas un satellite, boire un pastis , ne pas oser descendre
l'escalier sombre parce qu'on a peur des éventuels fantômes, découvrir
un jardin caché au hasard d'une porte cochère dérobée, bouffer pendant
des heures interminables et débattre en disant n'importe quoi avec ceux
qu'on aime, réaliser qu'on descend de siècles et de siècles de gens qui
ont ressenti ce que l'on ressent et savoir que tout ce processus se
perpétue, attendre patiemment dans les gares ou les aéroports que les
minutes immobiles s'égrènent, tomber sur une photo de son grand-oncle
aviateur, repenser à un baiser volé sur un toit, se souvenir de
quelqu'un qu'on avait oublié et constater ébahie que cette personne
poursuit sa toute autre vie, déchiffrer les graffitis, espérer qu'on
retombera amoureuse, mais qu'en attendant on est bien avec soi, fêter
son anniversaire en soufflant les bougies d'un gâteau qu'on vous a
préparé en secret, faire rire un bébé, passer de la crème sur son corps
après une bonne douche, prendre un coup de soleil, écouter "Let's get it
on" de Marvin Gaye, trainer dans la chambre d'une bonne copine, pouffer
avec elle en se parlant de nos aventures, s'assoir sur le trottoir à la
nuit tombée, une bière à la main et refaire le monde, se faire épiler
le maillot (aie, pas trop échancré s'il vous plaît), se faire fouetter
par les vagues d'une mer taquine qui chahute votre petit corps, lutter
contre le sommeil, perdre de la batterie et tout recharger, papoter,
finir la vaisselle, écouter les grillons qui bercent la Cabro, savourer
une tomate mozza basilic à midi au soleil, être seule contre la fenêtre
dans le TGV et regarder le temps qui passe devant les paysages qui
défilent, prêter son téléphone à une inconnue reconnaissante, regarder
la valse de la vie des fourmis, souffler des bougies inattendues, tomber
d'accord, argumenter, savoir qu'on ne sait pas et qu'on ne fait
qu'imaginer, constater qu'il est 23:23, attendre, le cœur battant, le
bruit de la voiture tant attendue et l'entendre enfin, se faufiler sur
la pointe des pieds, être jolie, ce jour-la, dans les yeux d'un parfait
inconnu, entendre le petit vent souffler dans les branches, sentir le
soleil sur sa peau, contempler une bibliothèque pleine de Pléiade, boire
un grand café et y ajouter la dose parfaite de lait, la dose parfaite
de sucre, râler contre eux, ce qu'ils ont fait encore, non mais quels
cons, sentir la fleur d'oranger, entendre et reconnaître au loin et avec
surprise une voix familière, Écouter "Ich bin der weit abhanden
gekommen" de Malher, et perdre, en effet, la trace du monde, entendre un
jeune enfant pousser de petits cris sans savoir s'il doit pleurer ou
rire au contact de l'eau fraîche d'une piscine, achever un long roman,
regarder scintiller des paillettes que l'on a sur la peau, s'imaginer
qu'on chante dans un fameux groupe de rock très fort, sentir le vent, la
douce petite brise caresser sa peau tel un baiser, prendre un coup de
soleil, donner un coup de poing de toutes ses forces en plein dans le
visage d'un con, courir dans la neige après s'être fait prendre la main
dans le frigo d'un bar en train de voler des bouteilles de vodka, puis
aller planquer ce précieux butin dans la neige, courir main dans la main
avec un jeune flirt pendant un blizzard new-yorkais, sentir sur sa peau
les gouttes chaudes d'une mini-mousson à Ubud, Bali, apprendre la
guitare sur une lagune mexicaine paumée nommée Chacaua, boire le temps,
picoler jusqu'à ce qu'on en oublie ce qu'on a fait la veille et
constater sur des photos qu'on s'est finalement bien tenue, régler
l'addition d'un restaurant pour 20, faire un pole dance autour d'une
barre de métro devant l'oeil incrédule des passagers, chanter très fort
et très faux au karaoke, lire les lignes de la main de Pete Doherty,
marier une amie, attendre le résultat d'un test de grossesse, se
délecter de l'acidité incongrue des Frizzy Patzy, pleurer sur le port de
Donostia dans une nouvelle robe blanche un jour de pluie, rattraper de
justesse une amie qui menace de se jeter dans le vide parce qu'elle dit
souffrir du vertige des chevaux, consoler un bébé qui pleure seulement
en lui parlant et en lui disant un peu les secrets du monde, chanter
fort et faux devant un miroir, faire marrer une sale entière avec un
sketch qu'on a écrit, fumer un cigare en buvant un whisky, faire du
secourisme, croire qu'une victime est morte et qu'elle ressuscite sous
vos yeux, se baigner nue dans le Pacifique, s'entraîner des heures au
moonwalk et finir par y parvenir, présenter l'horoscope devant un
million d'auditeurs sur l'émission matinale de la radio musicale la plus
écoutée de France, aller boire un verre au bar du Crillon, pleurer dans
un taxi et lui raconter tous ses petits malheurs, voler une bouteille
de champagne dans les backstages d'un défilé de la fashionweek, squatter
le parc de l'hôpital Saint Louis en mangeant un sandwich chinois,
courir dans les rues après une addition basket, savoir du fond du cœur
qu'on est qu'un passager, regarder la trace de son pied mouillé
s'évaporer sur une dalle ensoleillée, humer avec tous ses sens les
vitrines à tapas des bars de San Sabastian, flâner le long de la place
Hemingway en changeant de terrasse en même temps que le soleil, parler
parfaitement une langue, et de manière aléatoire d'autres, tout en se
débrouillant pour se faire comprendre grâce au langage du corps, sucer
un glaçon puis le croquer, élaborer une recette au hasard, la réussir ou
la rater, peu importe, boire une gorgée d'eau pétillante après avoir eu
très soif, se faire masser par une dame qui a vécu la vie, résoudre le
Sudoku de Mickey Jeux, se faire battre au Uno par un enfant de 7 ans et
dire des gros mots devant lui, scotcher une bande de scotch sur le dos
d'un chat pour le regarder marcher bizarrement, regarder les Canadairs
au travail, se mordre la langue au passage d'une guêpe et qu'elle parte
(ah, tu vois? Ça marche!), mélanger de la truite, du Philadelphia, du
citron, de l'huile et de l'avocat dans une salade et la savourer sur son
balcon, couper de la lavande, faire l'amour dans une œuvre d'art de
Kusama, couper soi-même ses cheveux, mettre du rouge à lèvres et être
complètement habillée tout à coup, aller seule au théâtre pendant le
festival d'Avignon, traduire une interview de John Turturo, Alanisse
Morissette, Madonna... Constater que Lenny Kravitz a besoin d'une bonne
séance de maquillage avant une interview radio (vraiment?), mais qu'il
reste diablement sexy (vraiment!), couper les ponts avec quelqu'un, les
reconstruire, faire une car-corrida le long du canal saint Martin, une
roof party d'Halloween à New York, manger le meilleur sandwich à la
viande salée du monde à Brick Lane, lire les cartes à une amie en lui
conseillant de reprendre la pilule et avoir raison, vomir dans sa main
après avoir bu du champagne trop chaud à Pigalle, passer des bas-fonds à
la haute société en battement de cils, arrivée déguisée en chat au
"Pied de Cochon" aux Halles à 3 heures du matin après une dispute avec
son amoureux et demander à ce qu'on appelle un taxi qui vous emmènera
chez votre ex, se retrouver au milieu d'hommes et de femmes complètement
nus à Berlin dans un sauna sans qu'il y ait la moindre ambiguïté parce
que la-bas le nudisme est un acte politique (l'une des seules choses que
les nazis n'ont pas réussi à interdire), prévoir d'aller à ikea le 2
septembre prochain, être acclamée par 300 personnes, faire pipi dans sa
culotte, embrasser une douce peau, être déçue parce que la pub de Rice
Krispies a menti, les 3 petits lutins ne sont pas sortis du bol de
céréales, monter sur le toit d'une voiture, les cheveux aux vent, qui
fonce sur des petites routes corses, se retrouver pieds nus à Barcelone
parce qu'on a craqué ses tongs, faire un strip-tease sur le bar d'une
bodega illicite pendant les ferias d'Arles, boire un Coca Cola pour la
première fois, quand ça fait pschiiit et que ça pique le nez, sentir
qu'en un battement de cœur, pour un battement de cœur tout une vie peut
basculer, avoir une épiphanie dans un escalier en tenant son courrier
habituel et juste à cause d'un rayon de soleil qui traverse la vitre,
réaliser que le bonheur c'est maintenant et puis se faire tatouer cette
phrase par une froide après-midi de novembre, boire trop, faire de
stupides confidences, répéter un secret inavouable aux mauvaises
personnes et assumer tout cela, aller au bal des pompiers de la caserne
Saint Sulpice et regarder la foule endimanchée, lire les mémoires de son
grand-père, résistant, prisonnier de camp, médecin de De Gaulle, sentir
son sang couler dans ses veines, être vaine et acheter un bras une
paire de chaussures qui ne seront portées que 3 fois, voler dans les
magasins, faire un manège sous la pluie, réaliser que la seule peur que
l'on a c'est que la vie ne nous apprenne rien, dresser Rodéo le
rottweiller croisé berger de 50 kilos et qu'il obéisse au doigt et à
l'oeil, avoir une belle-mère corse farouche mais qui finit par
s'enticher de vous, courir le plus vite possible, droit devant,
s'époumoner et entendre l'écho nous répondre, entendre une moto monter à
290km/h, avoir peur pour sa vie, regarder Husain Bolt gagner une
course, se rappeler par cœur d'une tirade d'"On ne badine pas avec
l'amour" de Musset, flâner devant les étals au marché, plaisanter avec
les commerçants, déguster leurs produits du terroir, lire et relire les
phrases oniriques des romans d'Haruki Murakami, imaginer un tatouage
qu'on voudrait se faire sur le corps, se perdre de vertige dans les
peintures de William Turner, se demander ce qu'on ferait si c'était le
dernier jour de la Terre et des Humains, enfiler une nouvelle robe,
acheter de stupides magazines en été juste à cause du tee-shirt offert
dedans, regarder avec attention l'étal du poissonnier, conduire de
manière intrépide une fois que la peur est passée, mettre du Weleda
relaxant à la lavande dans son bain, prendre une photo avec ses copines,
aller au bal du 15 août en province, projeter une journée à la plage
avec des gens qu'on aime, s'entendre répondre "merci" parce qu'on vient
de dire à une petite Lucie qu'on est enchantée de la rencontrer, avoir
une copine qui s'appelle Violette et qui roule ses clopes, entendre
Anthony Hopkins dire dans "360" que la prière la plus courte c'est "fuck
it" et rire en se disant qu'il a tellement raison, se vernir de violet
les ongles des pieds lorsqu'ils sont bronzés, sentir au milieu de la
foule, le regard d'un bébé rieur, regarder une crêpe cuire sur la plaque
de la caravane d'une femme aux bras qui ont travaillé toute leur vie,
faire l'appoint pile poil au centime près, savoir que le serveur ou bien
que le médecin suit notre cas de près, regarder un hotdog se faire sous
tes yeux a Manhattan, admirer un vendeur de Taco à Huaxaca t'executer
son tour de magie culinaire sur le pouce pour une poignée de pesos,
regarder une femme enceinte engloutir une gaufre à la chantilly, se
faufiler finement entre deux tables et soutenir les regards jaloux des
femmes plus âgées, et les regards concupiscents de leurs époux, danser
debout sur un bar devant une foule enivrée et rigolarde, prendre un bain
de minuit, boire de "l'eau qui pique", récupérer trop de monnaie au
distributeur à boisson, savoir que jeunesse passe et en profiter, tout
donner à la vie éphémère, saisir la fugacité des instants et les mettre
dans des petites boîtes dans son cœur et dans sa tête, pour plus tard,
écrire une carte postale, faire des blagues dans la salle d'attente des
urgences et se marrer comme une baleine, regarder le sourire énigmatique
de la Joconde, trainer dans la salle des icônes du Metropolitan, faire
l'amour, faire l'amour, faire l'amour, faire l'amour, faire l'amour,
faire l'amour, faire l'amour, se perdre dans les petites allées
chaotiques d'un cimetière anglais, tartiner de beurre salé une biscotte
qui ne se casse pas, passer entre ses dents du fil dentaire et en
retirer une miette gênante, éternuer, entendre enfin appeler son nom
après une longue attente, lire Pennac parler de "merveilleuse défaite"
pour qualifier sa branlette dans son "Journal d'un corps", faire les
cinq tibétains sur la pelouse au bord d'une piscine ensoleillée, aller à
Trinquetaille, à Tribeca, à Roquette, à Mitte, à Muztec, a Gili
Trawangan, a la cité universitaire de Nankin, à Primrose Hill, à Las
Ramblas, à Lumio, aux jardins Majorelle, écouter le silence d'une église
au soleil, se parler seul à soi-même, pour soi-même, en soi-même,
observer le ressac de l'eau osciller entre suspension et précipitation ,
saisir l'éternité dans une seconde, apprendre la maladie probablement
incurable d'un proche et continuer à faire de stupides blagues avec lui
en se tordant de rire, réaliser à ce moment-la qu'il vaut mieux peut
être bouddhiste, qu'on vit et qu'on meure et qu'il vaut mieux bien
s'amuser en attendant, qu'il ne faut pas trop prendre la vie au sérieux
puisque de toutes façons on n'en sort jamais vivant, boire un soda frais
à la paille, faire des tests médicaux et en attendre nerveusement les
résultats, apprendre que ces derniers sont tout à fait corrects, se dire
oh, mais j'ai une tête, deux bras, deux jambes, je peux aller ou je
veux librement, je vais bien, j'irai toujours bien car je suis avec moi,
savoir et ne plus en douter que le bonheur c'est maintenant, le bonheur
c'est maintenant, le bonheur c'est maintenant, le bonheur c'est
maintenant, le bonheur c'est maintenant , le bonheur c'est maintenant,
le bonheur c'est maintenant, le bonheur c'est maintenant, le bonheur
c'est maintenant.
Le.
Bonheur.
C'est.
Maintenant.