Quand
je réfléchis à ma future pratique d'Educatrice de Jeunes Enfants,
je me dis que pour beaucoup, elle consiste à être réparatrice de
petits.
Pas
qu'ils aillent mal, ces enfants, loin s'en faut.
Mais
il leur arrive pour beaucoup de symptomatiser (oui, oui, c'est un mot
que je viens d'inventer et qui par conséquent, existe) beaucoup de
maladresses de leurs parents parfois dépassés.
On
ne peut pas reprocher aux parents d'être dépassés.
Même
le Code du Travail interdit les job à pleins temps, par là
j'entends 24/7.
Donc
un peu d'épuisement est fort légitime.
C'est
là que j'interviens.
Mon
taf, c'est le potentiel et le jeu.
Par
là, j'entends, accompagner les parents dans leur capacité à
s'émerveiller, en mettant l'enfant au centre de l'accompagnement, et
sans en faire un roi.
Tout
un subtil programme, qui ne repose que sur l'envie de chaque sujet
accompagné (enfant comme adulte) à accepter la petite balade que je
leur propose...
Je,
Jeu, Enjeux.
Dans
EJE, il y a Je (mon identité, ce que je mets de moi dans ma pratique
professionnelle), il y a Jeu (le jouet et les jeux, les joujoux) et
Enjeu (ce qu'il se joue).
Le
jour où j'ai cessé de jouer à la Barbie, je me le rappelle très
précisément : c'était un jeudi pluvieux et je me suis dit, çà
suffit, j'ai grandi, j'ai douze ans, assez de ces inepties.
Sauf
que quelques années plus tard, alors que je baby-sittais une
fillette de 6 ans, je me suis remise – tout à fait malgré moi- à
jouer avec cette fillette et cette inepte poupée de plastique :
et je dois reconnaître qu'on s'est bien amusées.
J'étais
alors actrice, c'était avant d'entamer ma reconversion d'Educatrice
de Jeunes Enfants à l'IRTS Montrouge, où j'obtiendrai mon diplôme,
si tout va bien, au printemps 2013.
J'ai
donc été actrice pour continuer à jouer, pendant un bon moment. On
joue de toutes sortes de façon en somme, tout au long de notre vie.
Mais
à quoi joue-t-on ?
Les
enfants peuvent-ils jouer à rien ?
On
a tous déjà entendu l'histoire de l'enfant qui reçoit un coûteux
jouet et qui préfère s'amuser avec l'emballage plutôt qu'avec
l'onéreux joujou.
Il
faut bien se rendre à l'évidence : en réalité, on n'arrête
jamais de jouer – et je défie quiconque autour de moi d'affirmer
qu'il ne joue pas.
Il
me saute aux yeux, à présent, que ma reconversion d'EJE n'est pas
anodine : j'ai choisi un métier que je définirai ainsi :
l'EJE travaille sur deux axes : le potentiel et le jeu. Le mot
jeu est d'ailleurs implicite dans le sigle EJE...
Donald
Winnicott nous le dit dans
« Jeu et réalité » (D.W.
WINNICOTT, Jeu et réalité, l’espace potentiel, 1ère trad.
française 1975, réédition collection Gallimard / Collection de
l’Inconscient 1997):
« Ce qui s'oppose au jeu n'est pas le sérieux mais la
réalité » ; donc on jouerait bien, de différentes
façons avec toutes sortes de jouets et joujoux pour échapper à la
réalité. Le jeu comme escapade en quelque sorte.
Jouer
c'est l'enfance de l'art, mais c'est aussi cultiver l'art de
l'enfance, ainsi que notre capacité à nous émerveiller.
Dans
le cadre de la formation d'EJE, lorsque je me suis retrouvée en
crèche multi-accueil pour la première fois, l'éducatrice de jeunes
enfants qui était alors ma référente m'a désignée une partie de
la section des grands (des enfants de trois ans en moyenne) en
disant : « çà c'est la partie jeu libre ».
Intriguée, je lui ai alors demandé à quoi
y
jouaient les petits. La professionnelle n'a pas vraiment su, ni pu me
répondre. Ce n'est qu'après une longue période d'observation que
j'ai compris : les enfants jouent et rejouent toutes sortes de
situations de leurs vies dans le jeu libre. En réalité, le à
quoi jouent-ils
n'est pas tellement pertinent. Ce qui, je crois est pertinent, c'est
ce
qu'il se joue
lorsque les enfants jouent.
Jeux
symboliques, dînette, garafe, poupées, animaux, jeux d'imitation,
parfois même jeux vidéos...
En
réalité et peut-être ainsi pour échapper à la réalité, pour
aller dans le sens de Donald Winnicott, ou pour mieux appréhender
cette réalité et la comprendre, ils en disent, les enfants, des
choses lorsqu'ils jouent.
Dans
cette partie jeux libres, j'ai aussi pu obsever un petit garçon
jouer « au château ». Cet enfant subissait
littéralement, il n'y a pas d'autres termes, le divorce de ses
parents, qui malheureusement comme bien souvent dans ces situations,
placent l'enfant en otage. Je l'ai regardé un bon moment en train de
jouer, et puis ma référente s'est aperçue qu'il fallait lui
changer sa couche, ce qu'elle m'a demandé de faire. Dans la salle de
change, je lui ai alors demandé à quoi il jouait. Il m'a répondu
qu'il « jouait au château » ; je lui ai demandé à
qui était le château, il m'a répondu que c'était celui de son
père -c'est lui qui en avait la garde principale. J'ai demandé au
garçonnet s'il y avait une chambre pour lui dans le château ;
le petit garçon m'a dit que non, que lui, dans ce château, il était
le prisonnier et qu'il «était au cachot ».
Puis
il m'a demandé un câlin, ce que j'ai fait, je dois l'admettre, avec
un peu d'émotion.
Qu'il
ait pu me le dire à ce moment-là, de mon positionnement d'adulte en
formation, cela m'a déstabilisée parce que je me suis sentie
démunie face à son chagrin d'enfant ; il est difficile,
parfois, l'accompagnement d'une détresse. Par ailleurs, il a quand
même pu mettre cette détresse en jeu dans son jeu. Ce n'est pas
rien.
A
la Maison des Petits du 104, un Lieu d'Accueil Enfants Parents du
XIXème arrondissement de Paris où j'ai effectué mon stage
d'Accueil et d'Accompagnement du Jeune Enfant et de sa Famille, il y
a une partie jeux d'eau. Combien de fois ai-je dû faire preuve de
persuasion à l'égard d'un adulte récalcitrant à laisser l'enfant
se mouiller, en lui expliquant que les jeux d'eau permettent à son
petit de comprendre le monde, le contenu, le contenant, que peut-être
également, cette étape ludique lui permet d'aborder ses propres
sphincters...
Accompagner
ce lien parent-enfant dans le jeu, en distillant aussi peut-être un
peu de la pensée de Jean Oury : « Être au plus proche,
ce n'est pas toucher : la plus grande proximité est d'assumer
le lointain de l'autre. » Ainsi, signifier au parent qu'elle
est très complexe sa tâche de parent, tout en valorisant ses
compétences, effectuer cet accompagnement au travers du jeu s'est
avéré payant bien souvent, dans ma pratique.
Parce
qu'un parent qui joue avec son enfant, un parent qui sait se mettre
en jeu, en percevant les enjeux que çà comporte dans son lien avec
son enfant, ce parent-là se permettra, ainsi qu'à son enfant de
vivre une « expérience suffisament bonne » (Mélanie
Klein, « Envie et gratitude et autres essais »,
Gallimard,1978).
Un
papa est venu un soir à la Maison des Petits, en toute fin de
journée.
Il
m'a d'abord demandé quelle était ma fonction en tant
qu'accueillante (ce qui est assez rare : çà m'a interpellé
que ce papa ait si bien compris la fonction et les missions du LAEP,
et que normalement ce sont des psychologues qui y officient). J'ai
donc senti qu'il fallait que je le rassure en présentant ma pratique
d'EJE en formation comme s'axant sur le potentiel et le jeu. Il a
paru satisfait, j'étais innofensive à ses yeux puisque je jouais...
Après
une longue discussion, il m'a expliqué que son fils avait quelques
difficultés avec le départ.
En
approfondissant un peu, il a ensuite précisé que la maman du petit
et lui étaient en train de se séparer. Je lui ai alors dit que
peut-être, il était bon de rappeler à son fils que les gens et les
endroits, lorsqu'on les quitte, on peut aussi les revoir et y
revenir. J'avais en tête la phrase de Françoise Dolto :
"L'enfant a toujours l’intuition de son histoire.
Si la
vérité lui est dite, cette vérité le construit." (“Tout
est langage”, trois volumes, Gallimard, 1994).
Ensuite
son fils est arrivé, et je leur ai proposé à tous les deux de
jouer avec les téléphones et de s'appeler, ce qu'ils ont fait un
très long moment. A ce moment, le papa a dit à son fils qu'il
l'aimait et que les choses étaient un peu difficiles en ce moment
avec sa maman, mais que tous deux l'aimaient très fort, que la
séparation ne signifiait pas que l'on ne pensait pas les uns aux
autres. Le garçon a souri. Au moment du départ, l'enfant a fait
quelques difficultés : il est parti en courant au bout de la
pièce. Je l'ai rejoint et je lui ai demandé qui décidait du
départ, son papa ou bien lui. Il m'a répondu avec un sourire que
c'était lui.
Puis
il m'a prise par la main et m'a emmenée dans la cuisine, qui n'est
pas autorisée pour les enfants seuls. Je lui ai alors rappelé ce
que son papa lui avait dit au téléphone plus tôt, que le fait de
se séparer ne signifiait pas quon ne pourrait plus penser l'un à
l'autre, et que par ailleurs, il pourrait revenir à la Maison des
Petits une autre fois. Son papa nous a rejoint, et a embrassé son
fils en lui confirmant que celui-ci n'aurait qu'à demander à
revenir et que ce serait possible. Le petit m'a alors demandé ou
est-ce que moi j'allais et je lui ai répondu que je restais jusqu'à
la fermeture du lieu, et puis que comme lui, je rentrerai chez moi
après.
Le
petit garçon m'a alors embrassé puis m'a dit aurevoir sans plus de
difficultés et dans le calme, comme apaisé. Son père m'a remerciée
et ils sont partis tous les deux.
Ce
moment a été comme un déclic dans ma formation : j'avais
l'impression d'avoir compris comment accompagner le lien au travers
du jeu, et des mots.
Ces
quelques exemples illustrent ce qui se joue dans les jeux d'enfants.
Et
nous autres adultes, qui travaillons avec les enfants et leurs
familles, n'oublions pas ce qui est en jeu, en y mettant un peu de
notre je en enjeu.
Bibliographie
Jean
Oury, Le collectif, Champ social éditions, 1999, Nîmes
D.W.
WINNICOTT, Jeu et réalité, l’espace potentiel, réédition
collection Gallimard / Collection de l’Inconscient 1997
Mélanie
Klein, « Envie et gratitude et autres essais »,
Gallimard,1978
Françoise
Dolto “Tout est langage”, trois volumes, Gallimard, 1994