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lundi 25 juin 2012

La fille qui murmurait à l'oreille des petits


Quand je réfléchis à ma future pratique d'Educatrice de Jeunes Enfants, je me dis que pour beaucoup, elle consiste à être réparatrice de petits.
Pas qu'ils aillent mal, ces enfants, loin s'en faut.
Mais il leur arrive pour beaucoup de symptomatiser (oui, oui, c'est un mot que je viens d'inventer et qui par conséquent, existe) beaucoup de maladresses de leurs parents parfois dépassés.
On ne peut pas reprocher aux parents d'être dépassés.
Même le Code du Travail interdit les job à pleins temps, par là j'entends 24/7.
Donc un peu d'épuisement est fort légitime.
C'est là que j'interviens.
Mon taf, c'est le potentiel et le jeu.
Par là, j'entends, accompagner les parents dans leur capacité à s'émerveiller, en mettant l'enfant au centre de l'accompagnement, et sans en faire un roi.
Tout un subtil programme, qui ne repose que sur l'envie de chaque sujet accompagné (enfant comme adulte) à accepter la petite balade que je leur propose...


Je, Jeu, Enjeux.

Dans EJE, il y a Je (mon identité, ce que je mets de moi dans ma pratique professionnelle), il y a Jeu (le jouet et les jeux, les joujoux) et Enjeu (ce qu'il se joue).
Le jour où j'ai cessé de jouer à la Barbie, je me le rappelle très précisément : c'était un jeudi pluvieux et je me suis dit, çà suffit, j'ai grandi, j'ai douze ans, assez de ces inepties.
Sauf que quelques années plus tard, alors que je baby-sittais une fillette de 6 ans, je me suis remise – tout à fait malgré moi- à jouer avec cette fillette et cette inepte poupée de plastique : et je dois reconnaître qu'on s'est bien amusées.
J'étais alors actrice, c'était avant d'entamer ma reconversion d'Educatrice de Jeunes Enfants à l'IRTS Montrouge, où j'obtiendrai mon diplôme, si tout va bien, au printemps 2013.
J'ai donc été actrice pour continuer à jouer, pendant un bon moment. On joue de toutes sortes de façon en somme, tout au long de notre vie.
Mais à quoi joue-t-on ?
Les enfants peuvent-ils jouer à rien ?
On a tous déjà entendu l'histoire de l'enfant qui reçoit un coûteux jouet et qui préfère s'amuser avec l'emballage plutôt qu'avec l'onéreux joujou.
Il faut bien se rendre à l'évidence : en réalité, on n'arrête jamais de jouer – et je défie quiconque autour de moi d'affirmer qu'il ne joue pas.
Il me saute aux yeux, à présent, que ma reconversion d'EJE n'est pas anodine : j'ai choisi un métier que je définirai ainsi : l'EJE travaille sur deux axes : le potentiel et le jeu. Le mot jeu est d'ailleurs implicite dans le sigle EJE...
Donald Winnicott nous le dit dans « Jeu et réalité » (D.W. WINNICOTT, Jeu et réalité, l’espace potentiel, 1ère trad. française 1975, réédition collection Gallimard / Collection de l’Inconscient 1997): « Ce qui s'oppose au jeu n'est pas le sérieux mais la réalité » ; donc on jouerait bien, de différentes façons avec toutes sortes de jouets et joujoux pour échapper à la réalité. Le jeu comme escapade en quelque sorte.
Jouer c'est l'enfance de l'art, mais c'est aussi cultiver l'art de l'enfance, ainsi que notre capacité à nous émerveiller.
Dans le cadre de la formation d'EJE, lorsque je me suis retrouvée en crèche multi-accueil pour la première fois, l'éducatrice de jeunes enfants qui était alors ma référente m'a désignée une partie de la section des grands (des enfants de trois ans en moyenne) en disant : « çà c'est la partie jeu libre ». Intriguée, je lui ai alors demandé à quoi y jouaient les petits. La professionnelle n'a pas vraiment su, ni pu me répondre. Ce n'est qu'après une longue période d'observation que j'ai compris : les enfants jouent et rejouent toutes sortes de situations de leurs vies dans le jeu libre. En réalité, le à quoi jouent-ils n'est pas tellement pertinent. Ce qui, je crois est pertinent, c'est ce qu'il se joue lorsque les enfants jouent.
Jeux symboliques, dînette, garafe, poupées, animaux, jeux d'imitation, parfois même jeux vidéos...
En réalité et peut-être ainsi pour échapper à la réalité, pour aller dans le sens de Donald Winnicott, ou pour mieux appréhender cette réalité et la comprendre, ils en disent, les enfants, des choses lorsqu'ils jouent.
Dans cette partie jeux libres, j'ai aussi pu obsever un petit garçon jouer « au château ». Cet enfant subissait littéralement, il n'y a pas d'autres termes, le divorce de ses parents, qui malheureusement comme bien souvent dans ces situations, placent l'enfant en otage. Je l'ai regardé un bon moment en train de jouer, et puis ma référente s'est aperçue qu'il fallait lui changer sa couche, ce qu'elle m'a demandé de faire. Dans la salle de change, je lui ai alors demandé à quoi il jouait. Il m'a répondu qu'il « jouait au château » ; je lui ai demandé à qui était le château, il m'a répondu que c'était celui de son père -c'est lui qui en avait la garde principale. J'ai demandé au garçonnet s'il y avait une chambre pour lui dans le château ; le petit garçon m'a dit que non, que lui, dans ce château, il était le prisonnier et qu'il «était au cachot ».
Puis il m'a demandé un câlin, ce que j'ai fait, je dois l'admettre, avec un peu d'émotion.
Qu'il ait pu me le dire à ce moment-là, de mon positionnement d'adulte en formation, cela m'a déstabilisée parce que je me suis sentie démunie face à son chagrin d'enfant ; il est difficile, parfois, l'accompagnement d'une détresse. Par ailleurs, il a quand même pu mettre cette détresse en jeu dans son jeu. Ce n'est pas rien.
A la Maison des Petits du 104, un Lieu d'Accueil Enfants Parents du XIXème arrondissement de Paris où j'ai effectué mon stage d'Accueil et d'Accompagnement du Jeune Enfant et de sa Famille, il y a une partie jeux d'eau. Combien de fois ai-je dû faire preuve de persuasion à l'égard d'un adulte récalcitrant à laisser l'enfant se mouiller, en lui expliquant que les jeux d'eau permettent à son petit de comprendre le monde, le contenu, le contenant, que peut-être également, cette étape ludique lui permet d'aborder ses propres sphincters...
Accompagner ce lien parent-enfant dans le jeu, en distillant aussi peut-être un peu de la pensée de Jean Oury : « Être au plus proche, ce n'est pas toucher : la plus grande proximité est d'assumer le lointain de l'autre. » Ainsi, signifier au parent qu'elle est très complexe sa tâche de parent, tout en valorisant ses compétences, effectuer cet accompagnement au travers du jeu s'est avéré payant bien souvent, dans ma pratique.
Parce qu'un parent qui joue avec son enfant, un parent qui sait se mettre en jeu, en percevant les enjeux que çà comporte dans son lien avec son enfant, ce parent-là se permettra, ainsi qu'à son enfant de vivre une « expérience suffisament bonne » (Mélanie Klein, « Envie et gratitude et autres essais », Gallimard,1978).
Un papa est venu un soir à la Maison des Petits, en toute fin de journée.
Il m'a d'abord demandé quelle était ma fonction en tant qu'accueillante (ce qui est assez rare : çà m'a interpellé que ce papa ait si bien compris la fonction et les missions du LAEP, et que normalement ce sont des psychologues qui y officient). J'ai donc senti qu'il fallait que je le rassure en présentant ma pratique d'EJE en formation comme s'axant sur le potentiel et le jeu. Il a paru satisfait, j'étais innofensive à ses yeux puisque je jouais...
Après une longue discussion, il m'a expliqué que son fils avait quelques difficultés avec le départ.
En approfondissant un peu, il a ensuite précisé que la maman du petit et lui étaient en train de se séparer. Je lui ai alors dit que peut-être, il était bon de rappeler à son fils que les gens et les endroits, lorsqu'on les quitte, on peut aussi les revoir et y revenir. J'avais en tête la phrase de Françoise Dolto : "L'enfant a toujours l’intuition de son histoire. 
Si la vérité lui est dite, cette vérité le construit." (“Tout est langage”, trois volumes, Gallimard, 1994).
Ensuite son fils est arrivé, et je leur ai proposé à tous les deux de jouer avec les téléphones et de s'appeler, ce qu'ils ont fait un très long moment. A ce moment, le papa a dit à son fils qu'il l'aimait et que les choses étaient un peu difficiles en ce moment avec sa maman, mais que tous deux l'aimaient très fort, que la séparation ne signifiait pas que l'on ne pensait pas les uns aux autres. Le garçon a souri. Au moment du départ, l'enfant a fait quelques difficultés : il est parti en courant au bout de la pièce. Je l'ai rejoint et je lui ai demandé qui décidait du départ, son papa ou bien lui. Il m'a répondu avec un sourire que c'était lui.
Puis il m'a prise par la main et m'a emmenée dans la cuisine, qui n'est pas autorisée pour les enfants seuls. Je lui ai alors rappelé ce que son papa lui avait dit au téléphone plus tôt, que le fait de se séparer ne signifiait pas quon ne pourrait plus penser l'un à l'autre, et que par ailleurs, il pourrait revenir à la Maison des Petits une autre fois. Son papa nous a rejoint, et a embrassé son fils en lui confirmant que celui-ci n'aurait qu'à demander à revenir et que ce serait possible. Le petit m'a alors demandé ou est-ce que moi j'allais et je lui ai répondu que je restais jusqu'à la fermeture du lieu, et puis que comme lui, je rentrerai chez moi après.
Le petit garçon m'a alors embrassé puis m'a dit aurevoir sans plus de difficultés et dans le calme, comme apaisé. Son père m'a remerciée et ils sont partis tous les deux.
Ce moment a été comme un déclic dans ma formation : j'avais l'impression d'avoir compris comment accompagner le lien au travers du jeu, et des mots.
Ces quelques exemples illustrent ce qui se joue dans les jeux d'enfants.
Et nous autres adultes, qui travaillons avec les enfants et leurs familles, n'oublions pas ce qui est en jeu, en y mettant un peu de notre je en enjeu.

Bibliographie
Jean Oury, Le collectif, Champ social éditions, 1999, Nîmes
D.W. WINNICOTT, Jeu et réalité, l’espace potentiel, réédition collection Gallimard / Collection de l’Inconscient 1997
Mélanie Klein, « Envie et gratitude et autres essais », Gallimard,1978
Françoise Dolto “Tout est langage”, trois volumes, Gallimard, 1994