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mercredi 7 novembre 2012

Carnet de bord d'une secouriste (en 9 étapes et en vrac)




1)

On apprend les gestes.
À faire un bilan.
Les antécédents. 
En formation, on dit que c'est comme une enquête.
Il y a deux jours, j'ai chanté l'internationale à un type qui pleurait, riait, et lisait en même temps. 
Un type  de mon âge qui s'était allongé au milieu de la rue en voulant probablement mourir un peu, juste avant qu'on le récupère.
Deux heures avant, je chantais " Une souris verte" à un petit garçon de 3 ans qui présentait une hyperthermie convulsive.
Ça veut dire de la fièvre et des tremblements.
Moi aussi, avant, je parlais normalement.
Et puis je suis devenue secouriste.

2)

Au salon Baby, j'initie des parents captivés aux gestes de secours à destination des nourrissons et des jeunes enfants.
Je leur dis qu'il existe des gestes et des protocoles, mais surtout que ce sont eux, les parents, qui savent mieux que quiconque comment s'occuper de leur enfant, parce que ce sont eux, les parents, et qu'ils peuvent faire confiance à leur instinct, parce qu'ils connaissent mieux leur enfant que quiconque.
Les maladies et les malaises, ils sont pour de vrai.
Les causes, la plupart du temps, elles viennent de la tête et des émotions pas accompagnées.
Il y a toujours des surprises pendant les initiations.
Aujourd'hui par exemple, j'ai initié des enfants de 4 à 8 ans au massage cardiaque sur un nourrisson.
L'un d'eux, très éveillé, m'a dit que sa maîtresse lui avait expliqué que l'arrêt de la respiration entraînait l'arrêt cardiaque.
J'ai acquiescé en ajoutant que c'était  parce que le cerveau et  le poumon avaient besoin l'un de l'autre, et que quand l'un cafouille, l'autre part en nouille.
Ce gosse a effectué le massage mieux que certains adultes. 

3)

Au stade de France, on couvre le match France/Angleterre et tous les secouristes sont très beaux.
Beaucoup de couples se forment au sein de la Croix Rouge.
J'avais pour règle de ne pas pécho à la Croix Rouge.
J'ai dérogé à cette règle une fois.
Au bout de peu de temps, on a réalisé qu'on n'était pas un "match".
On a rompu fort courtoisement.
Je pense que les gens se pécho à la Croix Rouge parce qu'ils partagent cette valeur humaine très forte. 
Le savoir-être des équipiers Crf est tout de même assez agréable, surprenant.
Et puis leur uniforme... 
On n'est plus vraiment nous avec cet uniforme.
On est nous en mieux, en somme.

4)

Je couvre un match de football organisé par une association antillaise du quartier.
L'implication de tous ses membres pour que les petits puissent jouer au foot permet aussi d'animer un peu le lien des gens entre eux.
C'est aussi une rencontre humaine immense, finalement, la Croix Rouge.

5)

Marathon de Paris, énorme dispositif mobilisant 300 secouristes.
Je prends confiance dans les gestes, les bilans, et dans le même temps je doute tant.
J'ai des secouristes sous ma responsabilité (je suis PSE2). 
Et quand je ne sais pas, je demande un relai.
Aujourd'hui une des victimes dont j'étais en charge ma fait la bise en partant.
Un autre ma demandé en mariage.
J'ai aussi réquisitionné deux kinésitherapeutes à la tente de massage pour m'aider à dégager une victime vers la tente Croix Rouge: s'adapter...
J'ai fait deux brancardages maladroits, mais tout le monde qui est passé entre mes mains est vivant, en tout cas l'était quand on s'est quittés.
Je ne sais pas ce qu'ils deviendront ces gens, mais j'ai vraiment, vraiment fait ce petit chemin chaotique avec eux, alors qu'ils ont survécu au probablement pire jour de leur vie.
Eux, en tous cas, ils sont souvent avec moi.
Parce que c'est rarement le cas dans la vraie vie, mais quand on fait du secours, il y a des gestes, des protocoles, une équipe qui font que la situation est "gérable".

6)

La quête, les vents, les sommes improbables, le s'insulter et le bien s'aimer.
Les folles surprises qui ne valent que peu et aussi tellement , tant, si, beaucoup.
On va bien.
Nous sommes ce battement de cœur, toujours la, pour toi, inconnu.
Tu n'as pas 1€ pour la Croix Rouge?
Pas grave, quand tu passeras dans mon camion, je serai au poste...

7)

On fait des blagues en poste.
- Mon collègue: Je vais au lion d'or. Au lit on dort.
- Moi: Tu devrais l'envoyer aux Grosses Têtes.
- Mon collègue (en prenant ma température): Tu te rappelles ce qui s'est passé?
- Moi: Quoi?
- Mon collègue: Ha, ça a marché on t'a effacé la mémoire.
- Moi: C'est quoi qui est gros et jaune? (avec une grosse voix): un PIoUPIOU.
On rit bêtement en se moquant des bobos qui matent la nuit photographique aux buttes Chaumont.
Une douce garde blanche, çà me convient aussi, çà signifie qu'on a pas à intervenir et que tout le monde va bien.

8) 

Maraude. Un an et demie depuis la dernière. Toujours démunissant.
Caca boum.
Le sens de l'humour, bizarre et déconcertant des gars qui dorment dehors.
Pff.

9)

Je réalise après ces 4 ans que je n'ai plus le temps pour la Croix Rouge.
Peut-être parce que par ailleurs , cela fait 4 ans que j'enseigne le massage de cœur pour tenter de faire repartir le mien.
Mon cœur bat pour ce que je fais.
Pour une cause, pour un homme, pas tout à fait, encore, mais à coup sûr, depuis que je suis à la Croix Rouge, mon cœur ne fibrille plus.
En attendant, là, immédiatement, je n'ai plus le temps pour la Croix Rouge.
J'y reviendrai, j'y reviendrai, tout ce que çà m'apprend, c'est trop important...