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jeudi 1 novembre 2012

Western d'yeux (ballade matinale)



Je lutte contre mes yeux qui luttent pour rester ouverts depuis 7h07 ce matin, .
Heure à laquelle mon réveil m'a brutalisée comme tous les matins depuis le 1er septembre.
Date à laquelle j'ai eu le privilège de dormir une nuit complète pour la dernière fois.
Allez, allez.
Allez.
Les yeux encore fermés, je presse mon café.
C'est pas rien un café pressé, c'est une litote en soi.
La bouilloire ronronne.
Une cuillère de ma petite drogue légale, qui imminament, accélèrera le battement de mon cœur.
4 minutes.
Le temps d'une vie le matin.
Presse.
Mon café.
Mais pourquoi je m'inflige cette vie là.
Je ne mets pas de point d'interrogation à cette question réthorique, c'est un fait exprès, bon pour faire ce que de droit.
Je suis debout.
Enfin, je crois.
Petit rituel du matin, comme un haka de rugbyman, je me dis bonjour dans le miroir.
C'est bon.
C'est bien moi.
Enfin, je crois.
Propulsion dans le couloir de Châtelet.
Que c'est brutal et beau aussi, parfois, Paris, le matin.
Je flotte, comme elle, je ne coule pas (encore) cool.
Trop tard pour venir en bus et attraper une de ces plus belles vues du monde: celle du pont qui relie la rive gauche à la rive droite, et ce ciel, ce ciel, ce ciel à perte de vue.
Une peinture de William Turner, ce ciel matinal dans le 38.
Mais il est trop tard pour la beauté ce matin.
Trop tard pour le bus alors je me rabats sur la ligne 4.
4, au Japon, veut aussi dire mort.
Quatre.
Un pompier de Paris m'a un jour dit que c'est la ligne de prédilection des suicidés.
Ma petite mort matinale, ce 4 qui me poursuit.
Incroyable que je survive à chaque matin.
La 11 est liée par la 4 via un tube Technicolor ringard.
Il fait 1000km ce couloir qui connecte la 11 à la 4.
Quatre.
Je suis dedans.
Ce changement et la ruche à gens qui courent pendant la correspondance.
Dans les ruches on produit du miel.
Dans le métro on produit des insultes, parfois des sourires de connivence un peu hasardeux.
Changement.
Transit.
Attente.
Correspondance.
Ils sont toujours justes, les mots du transport et du voyage, parce qu'ils parlent de notre trajectoire lente et inassurée, tâtonnante, vers l'inéluctable arrivée.
L'arrivée est toujours sûre et certaine d'elle-même.
Elle est là, elle ne fait qu'une chose, l'arrivée, elle t'attend, c'est tout.
Comme dans la vie. 
Long couloir arc-en-ciel désuet.
Un jour, je te jure que je vais dégainer un sifflet pour faire courir les parisiens encore plus vite entre les couloirs.
Le chemin.
Sortie.
Ouf.
Je suis encore avec moi.
Le jardin de la porte d'Orléans.
Le parc et les feuilles qui déclinent en mode Tim Burton.
La rosée sur les feuilles fait briller celles-ci, tel un dégueulis de fée.
Petit haiku d'Automne.
Matthew Bellamy et sa voix de stentor fluet, et son piano dingo, et ses guitares hystériques hurlent "Survival" tel un chant galvanisant dans mes oreilles. 
Si.
Si.
Si.
Je peux.
Ce matin, ce matin, une fois de plus, je peux.
Je peux.
Je peux.
Je peux.
Je peux lutter contre mes yeux, je peux vivre, pas survivre, je peux être là, vraiment, vraiment là, pas gagner, perdre, je peux faire sans suffisament de café, je peux me mettre au premier rang et entendre, ingurgiter un cours magistral et faire le lien avec mon futur taf, je peux rester indignée mais pas aigrie, fatiguée, oui, oui, pas épuisée, donner, pas abandonner, ce matin, à nouveau, ce matin neuf, je peux échanger des idées avec mes camarades en pause et espérer un monde meilleur, je peux, je peux croire que moi je ferai une différence sur le terrain, je peux me dire que oui je peux.
Je peux me rappeler que je suis venue sans rien au monde, et que je ne partirai qu'avec de l'amour, le reste n'est qu'emprunt, le reste ne fait que passer, le reste, c'est presque rien.
Je peux me rappeler que la vie c'est là, là, là, là;  maintenant.
Pas plus tard.
En face à face.
Mano.
A.
Mano.
Alors je me mets au premier rang.
Le combat contre mes yeux paresseux se poursuit.
La ballade longue, qu'elle est épuisante parfois, je sens que je m'essouffle.
(Mes yeux me perdent.
Ils gagnent une partie lorsque le  maître  de la magistralité passe au petit b du grand un, ou bien l'inverse.
Mes yeux se closent.
Je pars loin, sur une petit lagune mexicaine qu'on appelle Chacahua. On y vit de poisson grillé et on surfe toute la journée. La question existentielle à Chacahua, c'est qu'il n'y en a pas. Ça repose la tête. Le dicton à Chacahua, c'est "Nada se pasa". C'est un local qui m'avait dit çà, les yeux remplis de sable et de Mezcal. J'ai bien aimé Chacahua.
Pourquoi je n'y retourne pas.)
Mais pourquoi, pourquoi, alors, je m'inflige cette vie-là.
Je me réveille et sursaute de me réveiller dans cet amphi clairsemé.
Mais à quoi ils rêvent les autres étudiants.
Mes yeux: un. Moi: zéro (en plus maintenant je vois flou).

À suivre (?)