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mercredi 30 juin 2010

Bienvenue


Cher Bazil,

Je voudrais commencer cette lettre de la même manière que tu viens juste de débuter ta vie, en criant ma joie de te rencontrer enfin, mais ce n'est pas possible, on n'entre pas sur du papier en criant - le coeur y est mon cher filleul, parce que je suis vraiment contente que tu fasses maintenant partie de ce monde.

On est en juin et il fait très beau, tu viens d'arriver et tu as une drôle de tête un peu perplexe, ne t'inquiète surtout pas, chaton, çà aussi, çà passera.

Tout passe.

Cette lettre, j'espère que tu la garderas dans un coin précieux (précieux signifie uniquement à toi, comme un jardin secret, rare) pour la regarder une fois de temps en temps, tout au long de ta vie, qui va probablement durer environ 80 ans, si tout se passe bien (je te le dis tout de suite, si c'est le pragmatisme temporel qui te rassure).

Parce que à part çà, je ne peux pas te dire grand chose sur le contenu de cette vie, mon chaton, çà c'est toi qui va le figurer.

Dans les grandes lignes, je peux quand même te dire deux ou trois choses.

Bon pour commencer, la seule chose dont tout le monde est sûr, et çà peut ne pas paraître très gai, mais il faut bien que je te le dise, c'est que la vie s'achève par la mort.

Ce qu'est la mort, alors là, heu, chacun sa petite théorie, juste un jour l'âme quitte le corps et on n'est plus là pour parler avec les vivants, où on va on l'ignore.
Moi çà m'effraie un peu la mort, mais j'ai une forme de confiance, de foi, que ce qui vient après, quoi que ce soit, c'est pas mal.
La Foi, Bazil, comme l'intégrité, ce sont des choses très précieuses (je te renvoie au-dessus si tu as oublié le sens de "précieux"), c'est genre des choses qui sont à toi pour toujours, peu importe la météo, ta situation amoureuse, où le nombre de pièces que tu as dans tes poches.

Bon à part la mort, on ne sait pas grand-chose, chaton.

Beaucoup de gens vont tenter de te faire croire le contraire, ils voudront te faire croire qu'ils savent mieux que toi, mais ils te mentiront.
On ne sait rien, Bazil, on ne fait qu'imaginer.
Les certitudes rassurent les gens, mais dis-toi bien que les plus belles choses qui t'arriveront seront celles que tu n'attendais pas, celles qui ne se sont pas annoncées avant d'arriver.

Parfois tu auras tort en croyant avoir raison, parfois tu feras du mal sans le vouloir, parfois tu seras méchant, parfois jaloux, parfois tu te perdras.

En fait, ce sera ainsi très souvent.

Veille juste à essayer de rester de bonne foi et ne pas trop faire de mal, reconnaître tes torts, c'est çà qui permet d'avancer, la lucidité sur soi, et oh oui, surtout, surtout, sache rire de toi, çà c'est IM-POR-TANT, ris.

Ah oui; rapport à la mort, j'ai oublié de te dire un truc.

Il y a les pragmatiques et les croyants. J'ai entendu quelqu'un dire que Dieu est dans la pluie. Moi je suis plutôt une personne de foi. Chacun fait donc sa tambouille et y va de sa petite croyance.
Et moi je crois en ce qu'on appelle les fantômes. Ce sont des gens qui ont quitté la vie, ou ta vie, et qui reviennent sous une forme quelconque, pour te parler, ou te faire comprendre un truc. Moi parfois je parle aux fantômes.
Certains restent longtemps auprès de toi, et puis d'autres partent très vite, le temps que le feu passe au vert au carrefour, par exemple.
Les fantômes finissent toujours par partir -d'ailleurs, j'ai plusieurs fantômes qui sont en train de partir en ce moment, c'est un peu triste et un peu joyeux en même temps, laisse-les partir les fantomes. Ca t'arrivera probablement aussi, tu verras. Dans ces moments, il faut lâcher prise, ne pas avoir peur de cette tristesse et cette joie, ce que tu peux ressentir, Bazil, sera toujours légitime.

Tu grandis quand les fantômes partent, et c'est assez agréable.

Les gens aussi t'aideront à grandir.
Ta famille. Bon la famille on ne la choisit pas. Moi par exemple tu ne m'as pas choisie comme marraine, alors si tu ne m'aimes pas, il n'y a pas grand-chose que tu pourras faire à part supporter mes moches cadeaux d'anniversaire. Mais il y a aussi les amis. Eux tu les choisis. Tu n'en n'auras pas beaucoup. Les amis c'est très précieux Bazil. Parfois vous vous disputerez et vous ne voudrez plus vous parler, et puis çà aussi çà passera, parce que tout passe, et puis aussi parce que dans le fond, ce sont les seules personnes qui seront là à 5 heures du matin pour t'aider à enterrer un cadavre par exemple.
Bon çà c'est une image, hein Bazil, évite de te retrouver dans ce genre de situation. Les amis sont loyaux et drôles, et ne te jugeront pas, ils t'aimeront exactement comme tu es. Et puis vous pourrez ne pas vous voir pendant très longtemps, mais la nature de votre relation ne se ternira pas. Ne t'inquiète pas, ils seront très peu et tu sauras qui ils sont, et certains partiront, et d'autres ne bougeront pas d'un iota, et tu t'en feras toute ta vie.

Tu n'as qu'une parole Bazil, alors tiens la, mais parfois il te faudra aussi mentir, et tu sauras quand.

Sois gentil avec les gens, Bazil, mais si on t'embête, là tu m'appelles, n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, et je déclenche une vendetta mon chaton. Une vendetta, c'est pas bien, c'est pareil que les cadavres, il vaut mieux éviter, mais moi je peux le faire parce que je suis une grande et que je n'ai peur de rien, enfin si, de l'orage et puis de quelques autres trucs aussi en fait, mais pas tant que ca, parfois, donc bref, mais pour toi je peux oublier ma peur.

Il faudrait que tu voies le monde, que tu voyages, parce qu'il y a tant de trucs, Bazil, tant de choses à voir. C'est le voyage qui est bien, pas nécessairement l'arrivée, c'est le chemin que tu prends qui sera intéressant. Ca te fera, le voyage, çà te construira à l'intérieur.

Tu seras probablement aussi la personne la plus intéressante que tu vas rencontrer dans ta vie. C'est aussi beau qu'un voyage, ce que l'on a en soi.

Mais aucun homme n'est une île; tu ne peux pas rester qu'avec toi, alors donne, donne, donne, même et surtout aux égoistes, parce que çà, ce sera à toi pour toujours.

Ah oui et puis il y a l'amour aussi. Comment te dire?
C'est si fugace, l'amour, cela peut durer une minute comme une vie, Bazil, l'amour c'est merveilleux, fragile, et bref ou long, aléatoire, bon.
Tu seras fou, et heureux, et puis envie de manger des cailloux parfois, tant tu seras triste, et puis extatique, et puis tu verras, l'amour, c'est oh lala...
C'est tous les jours, c'est comme d'être au soleil, çà donne envie de chanter à tue-tête, et de s'envoler, de respirer par le ventre Bazil, de regarder quelqu'un dans les yeux et puis d'aimer ses défauts, avoir choisi ces défauts, ces petites imperfections qui t'émeuvent, pas les qualités, non, les petites choses qui échappent aux gens, c'est çà qui va t'émouvoir.
Et puis on ne tombe pas amoureux que des gens, on tombe amoureux de choses, comme l'art, et puis moi par exemple je tombe amoureuse de tant de choses, de gens, tout le temps, tous les jours depuis que j'ai compris la rareté de la vie, comme elle est précieuse et çà, çà, c'est bien, et puis sans amour, la vie n'a pas de sens, et si personne ne t'inspire, donne ton amour à l'art, ta famille, ou à une cause, mais aime, Bazil, comme le disait ton arrière-grand-père dont je lis en ce moment les mémoires de guerre, médecin de De Gaulle, mon grand-père immense et que je n'ai jamais connu mais qui a tant laissé, il disait, ce grand homme, "savoir n'est rien, aimer est tout".

Il y a le sexe, aussi, mais tu es un peu jeune, tu verras, c'est super tres cool aussi, on en reparlera plus tard.
Ah, et puis la nourriture, oh, la nourriture.

Il y a tant, tellement de trucs.
Je vais donc te laisser découvrir tout çà petit homme.

En fait, tu feras tout çà à ta façon, et quelle qu'elle soit, elle sera bonne puisque c'est la tienne.

N'oublie juste pas ceci: le bonheur c'est maintenant, Bazil, le bonheur c'est à présent, en cette seconde, le bonheur, c'est ici, en toi.

Voilà, pour toute question, tu sais où me trouver.

Je tâcherai de jouer correctement aux GI Joe, où peu importe à quoi tu joueras, moi je connais pleins de jeux aussi, et puis je te couvrirais quand tu feras des bêtises, c'est à çà que çà sert une marraine en vrai, mais çà çà reste entre nous.

Je ne te connais pas, mais je t'aime déjà.

Bienvenue parmi nous, Bazil, je te souhaite la bienvenue.

Claire.